Trou d’air technique pour le New Space, mais pas de panique !
Après quelques déboires financiers, les mini-satellites et mini-lanceurs du New Space rencontrent des difficultés techniques : le New Space n’est pourtant pas condamné. Il fait régulièrement l’objet de publications dans la plupart des revues consacrées au spatial. Il a d’ailleurs acquis suffisamment de titres de noblesse pour être écrit non plus new space, mais en capitales, New Space, et même NewSpace dans Wikipédia.
La barre est haute pour le New Space, car il s’agit de viser à la fois le “low cost” et la mise en œuvre de nouvelles technologies, supposées justement réduire les coûts de production, ce qui entraîne de facto l’acceptation du risque, donc des échecs.
Le New Space a connu à ses débuts l’engouement des investisseurs, les fameuses Spac [1], un engouement si fort qu’il laissait craindre de moins beaux lendemains. Moins d’un an après, en effet, devant les problèmes de développement se traduisant par des surcoûts et des retards, les Spac commençaient à retirer leurs billes, ce que j’avais décrit dans un billet paru en juillet 2022, “Les affres financières du new space : arrêt de mort ou opportunité ?”.
Malgré ces ennuis, de nombreuses sociétés du New Space ont réussi tant bien que mal à développer leurs produits, et les premières missions spatiales voient le jour. Elles ne sont pas toutes des succès, loin s’en faut.
Des échecs et des succès
Dans la revue SpaceNews de janvier 2023, Jeff Foust, éditeur et analyste, dresse, dans un article intitulé “Deep space smallsats face big challenges” (Les petits satellites de l’espace lointain affrontent de grands défis), la liste des échecs de plusieurs missions en espace lointain (hors orbite terrestre) à base de cubesats [2], lancés par SLS en novembre dernier.
Il recense :
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Luna-H Map : défaillance de la tuyère de propulsion. -
Omotenash, NEA Scout, CuSP, Lunar IceCube et LunIR : défaillance du système de télécommunication (et probablement de la batterie pour CuSP). -
Team Miles : défaillance du système de contrôle d’orbite.
Heureusement, le tableau n’est pas tout noir :
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LunIR a validé les performances d’un senseur infrarouge monté avec son cryostat dans un cubesat 6U. -
Equuleus a testé une nouvelle tuyère à jet d’eau. -
ArgoMoon a pu photographier la Terre et la Lune.
Selon Jeff Foust, la réussite des nano-satellites en orbite terrestre a conduit les ingénieurs à extrapoler l’expérience acquise à des missions plus exigeantes vers la Lune et au-delà. Extrapolation encouragée par le succès, en mars 2018, des deux cubesats “jumeaux” MarCO qui, après avoir accompagné en 2018 la sonde martienne Insight, en ont relayé les données de télémétrie lorsqu’elle descendait sur Mars. Mais voilà : le “better, faster, cheaper” de l’approche New Space ne peut pas toujours marcher, ce serait trop facile ! Et les récents échecs d’Astra et d’ABL côté américain, et surtout du très médiatisé Virgin Orbit côté anglais, sont là pour rappeler que la mise au point d’une nouvelle technologie ne se décrète pas et ne peut aboutir du jour au lendemain.
Matière rebelle
La “matière rebelle”, terme très évocateur que j’avais appris lorsque j’avais commencé mon parcours professionnel dans un bureau d’études, est toujours d’actualité. Même Elon Musk l’a reconnu dans un tweet lors des échecs initiaux de son premier lanceur Falcon 1, c’est vous dire !
Cette illusion que tout peut se faire en un claquement de doigts est dû à notre perte de la notion du temps, fil conducteur de mon blog depuis bientôt cinq ans. Je ne suis pas le seul à le penser. En décembre 2022, Yves Bréchet, ex-Haut-Commissaire à l’Energie atomique, dénonçant dans le magazine Marianne “l’inculture scientifique et technique de notre classe politique, au cœur du problème de la politique énergétique française “, déclarait : “La propension à considérer que les technologies en développement (l’hydrogène comme vecteur énergétique, les smart grids) peuvent être, en situation d’urgence climatique, des technologies à déployer massivement, dans l’instant, témoigne d’une méconnaissance profonde des délais de développement.” Dont acte.
Le glas du New Space n’a pas encore sonné, et il ne sonnera probablement jamais, à condition qu’on ne lui coupe pas les ailes du fait de quelques échecs de jeunesse normaux (surtout quand on veut en plus du “low cost”… à tout prix ?). Un message donc à passer aux excités de la finance et du retour sur investissement immédiat, qui devraient chaque jour se répéter en leur for intérieur cette petite phrase du grand La Fontaine : “Patience et longueur de temps font plus que force ni que rage”.
[1] Spac : Special purpose acquisition company
[2] Un cubesat est un nano-satellite (abrégé en nanosat) constitué de « cubes » élémentaires (dénommés « U ») de 10 cm de côté.