« La France doit s’armer de technologies souveraines »

ENTRETIEN. En amont du forum « Gagner la bataille du cancer », Gabriel Lerebours, cofondateur de la biotech Floating Genes, appelle à la cohésion des acteurs français.






Propos recueillis par Héloïse Pons


Illustration représentant des cellules cancéreuses du sang. « Le Point » organise le forum « Gagner la bataille du cancer », le 16 février, à l’Hôtel de l’Industrie, à Paris.
© NANOCLUSTERING/SCIENCE PHOTO LIB / MEE / Science Photo Library via AFP

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Détecter des cancers par une simple prise de sang : la promesse de Floating Genes, une start-up créée en 2021, n’est pas des moindres. Exit donc les biopsies, scanners et autres mammographies… Cette biotech, qui espère mettre sa solution sur le marché en 2026, pourrait bien accélérer la détection de gènes tumoraux et limiter le taux de mortalité de personnes atteintes d’un cancer en les traitant à temps. Gabriel Lerebours, biologiste de formation et cofondateur de cette jeune entreprise, salue la dynamique lancée en France pour doper l’innovation en oncologie, mais il rappelle que le chemin est encore long. Il pitchera son innovation lors du forum « Gagner la bataille du cancer », organisé par Le Point, le 16 février prochain, à l’Hôtel de l’Industrie, à Paris.

Le Point : Vous vous attaquez au problème de la détection des cancers. En quoi consiste votre innovation ?

Gabriel Lerebours : Floating Genes travaille sur la détection de gènes tumoraux sur un échantillon sanguin. Cette option est beaucoup plus facile à pratiquer qu’un prélèvement tissulaire. C’est un excellent moyen de repérer les cancers plus tôt. Mais ce n’est pas une mince affaire : notre objectif est de repérer chez les patients le gène qui a muté – à cause de la présence d’un cancer –, au milieu de 100 000 autres gènes sains. Autrement dit, on cherche une aiguille mutante dans une botte de foin d’ADN non mutant. Pour ce faire, nous développons une technologie moléculaire capable d’accroître le signal de la mutation dans l’ADN. C’est un enjeu de santé publique, car détecter de manière précoce un cancer permet de maximiser les chances de survie des malades, plus encore que le développement de nouveaux traitements. Au-delà du dépistage, cette technique permet d’assurer un meilleur suivi des patients, aussi bien dans leur réponse aux traitements qu’en phase de rémission.

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Cette technologie pourra-t-elle fonctionner sur n’importe quel type de cancer ?

On commence par des tests sur le cancer du pancréas. Il est souvent détecté en stade 4 et est synonyme d’une sentence de mort aujourd’hui. Il pourrait devenir le deuxième cancer le plus meurtrier en France d’ici à 2030. La seule manière d’y remédier est de le détecter plus tôt et de passer par la chirurgie. Mais on pourrait facilement appliquer notre technologie à d’autres cancers, comme les cancers colorectaux et les cancers du poumon. À terme, on a vocation à tous les dépister. Pour l’instant, nous sommes en phase de R & D, nous avons validé notre preuve de concept en laboratoire, et nous passerons en clinique pour tester notre technologie sur des patients dans les mois qui viennent, à Gustave-Roussy notamment. On aimerait d’ailleurs lever des fonds pour aborder sereinement cette nouvelle étape.

Est-il difficile d’attirer les investissements dans le secteur de la santé ?

Le financement est une problématique structurelle en France. Les biotechnologies ont besoin de beaucoup d’argent pour innover, mais cela implique de prendre des risques. Ici, les investisseurs (privés comme publics) sont plus frileux, ce n’est pas ancré dans la culture française, comme c’est le cas aux États-Unis par exemple. La plupart de nos concurrents sont originaires d’Amérique, et ils ne peinent pas à lever des fonds. On commence à être confronté à ce problème. Ça nous force à ralentir la cadence et, à terme, on risque forcément de perdre en compétitivité.

Maryvonne Hiance, présidente du fonds de dotation HealthTech For Care, regrette aussi que, en France, « on souffre d’excès de zèle du principe de précaution ». Est-il donc moins facile d’innover ici ?

Il est parfois difficile d’innover dans notre système de santé. Certains cliniciens ont envie d’être impliqués dans des projets innovants, mais ils n’ont pas le temps de le faire, car ils doivent soigner leurs patients avant tout. L’innovation vient de la recherche, puisqu’elle commence là où le savoir s’arrête, mais encore faut-il aider les chercheurs à donner vie à leurs travaux. En tant qu’entrepreneur dans la santé, je suis convaincu que cela passe par le concours de profils complémentaires capables de monter des projets. Encore une fois, les États-Unis savent très bien rassembler les différentes forces, en témoigne leur biocluster à Boston. Il est vraiment temps pour la France de favoriser la collaboration et de se doter de pôles d’excellence de cet acabit pour accélérer la recherche de pointe, mais aussi gagner en légitimité et en poids sur la scène internationale.

C’est l’ambition de Paris Saclay Cancer Cluster, créé en 2022 : structurer les écosystèmes pour favoriser l’innovation et créer un pôle d’excellence de lutte contre le cancer.

Cette initiative inscrite dans le plan « France 2030 » – l’État y investit 100 millions d’euros, NDLR – va dans la bonne direction. Floating Genes va d’ailleurs postuler pour s’y installer. L’idée est d’agir en catalyseur pour accélérer les projets industriels et start-up dont les travaux œuvrent pour lutter contre le cancer. Quand on regarde les parties prenantes de ce consortium, comme l’Institut Curie ou Gustave-Roussy, qui sont à la pointe de la recherche mondiale en oncologie, on ne peut être qu’enthousiaste de cette convergence d’intérêts et de ressources, qui manquaient jusqu’alors en France.

Mais il reste encore des efforts à faire…

La dynamique est lancée, le soutien de l’État et de structures publiques comme Bpifrance est là, mais c’est un début. La France a du retard à rattraper. Maintenant, il est temps pour l’Europe de prendre en main son destin, de se donner les moyens pour s’armer de technologies souveraines et rester compétitives dans la course aux nouvelles technologies. C’est aussi un enjeu pour la protection des données des citoyens, particulièrement sensibles dans le domaine de la santé.

Retrouvez Gabriel Lerebours à l’occasion de la conférence « Gagner la bataille du cancer » organisée par Le Point le 16 février prochain à l’Hôtel de l’Industrie (75006 Paris) à partir de 16 heures. Inscription sur www.lepoint.fr/evenements/.


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