Adana, au sud-est de la Turquie, est devenu le point de toutes les convergences. Une porte d’entrée vers l’horreur. Les secouristes du monde entier et les familles endeuillées se croisent dans le hall trop exigu de son aéroport. Et se retrouvent parfois au pied des décombres.
La tristesse ou la fatigue – souvent les deux – se lisent sur leurs visages. Elle s’exprime, en revanche, plus difficilement. Adam, pas plus que les autres, n’a les mots qu’il faut. Le voici de retour, lui l’enfant du pays, parti faire ses études à Istanbul. “Par chance mes parents vont bien, mais j’ai des amis qui…” Adam s’écarte pudiquement. La fin de la phrase se lit dans ses yeux envahis de larmes.
Course contre la montre
Ali, lui, préfère garder le sourire. Sans doute pour ne pas avoir à en pleurer à son tour. Il se présente en français. Déplore de ne pas pouvoir en dire plus dans cette langue qui n’est pas la sienne. En revanche, la Turquie est son pays. Et il ne connaît que trop bien la malédiction qui la tourmente depuis si longtemps: “Je n’ai pas vécu le séisme de 1999 , je suis né l’année suivante. En revanche, en 2003, ma maison entière a été rasée.”
Alors, en quittant cet aéroport trop étroit pour contenir tant de douleur, c’est à ce genre de spectacle que l’on s’attend. Celui d’une ville à plat. Et pourtant, en filant vers l’autoroute 52, c’est une ville verticale que l’on découvre. Comme si Adana, avec son million et demi d’habitants et ses barres d’immeubles qui s’étendent à perte de vue, avait voulu se donner des airs de mégalopole. Une petite New-York. En moins haut bien sûr. En moins beau aussi. Mais Adana est là.
Toujours droite pour l’essentiel. Toujours vivante. Bruyante même, en dépit des sept jours de deuil national décrétés par le Président Erdogan. Plus bruyante encore que New York, désormais, avec ces sirènes d’ambulance qui convergent en sa direction. Semblant égrainer presque chaque seconde, pour rappeler aux milliers de secouristes mobilisés qu’une terrible course contre la montre se joue en Turquie.
Des secouristes azuréens sur la route du Nord
En filant à contresens des sirènes sur cette autoroute 52, on comprend très vite que l’urgence est ailleurs. Plus à l’Est, le long de cette faille Anatolienne qui a éventré la Turquie dans la nuit du 5 au 6 février dernier. Plus au nord, en allant vers la Syrie, elle aussi si durement frappée.
C’est la voie qu’ont choisie les bénévoles azuréens de l’association ULIS. Ils ont laissé derrière eux les immeubles d’Adana, ont fait le tour du golfe, et dépassé les docks Dörtyol – d’où s’échappe toujours une épaisse fumée noire. Premier stigmate du désastre qui s’annonce.
Le long des petites villes balnéaires qui se succèdent, les barres laissent place aux pavillons individuels, des maisonnettes que seule la couleur des façades distingue, tout aussi impeccablement alignées. Comme si la secousse tellurique et ses 7.8 de magnitude n’avait jamais existée. Mais à mesure que les kilomètres en direction d’Antioche s’enchaînent, l’horreur surgit là où on ne l’attend plus.
À Ulucinar, presque plus rien n’est droit
Au beau milieu de ces alignements au cordeau, une première villa semble avoir littéralement disparu. Comme happée par la terre. Plus loin, c’est un petit immeuble de quatre étages qui est fendu de bas en haut, comme l’aurait fait une épée. Et puis voilà qu’au détour d’un virage à 90 degrés – pour ne pas plonger droit dans la mer – surgit Ulucinar. Plus grand-chose n’est debout, plus rien n’est droit. Sauf la flèche d’une grue, qui semble regarder de haut le désastre: un immeuble qui n’est plus qu’un amas de gravats.
Là, des sauveteurs s’activent. Ils coupent, ils tronçonnent, ils perforent. De l’autre côté de la rue, un homme les observe, planté sous son bonnet de laine noire, en fumant clope sur clope. “Ils viennent d’en trouver deux ici”, souffle-t-il. Lui aussi n’en dira pas plus long. Il se contente de balancer lentement la tête de gauche à droite, comme pour signifier qu’il n’y a plus d’espoir. Encore des morts. Toujours plus de morts. Et de moins en moins mots pour décrire l’horreur turque.
1. Le plus lourd bilan jusqu’à cette nouvelle catastrophe avec 17.000 morts.